Depuis l’inauguration de son espace au BHV Marais, la marque chinoise Shein se trouve au cœur d’un exercice d’équilibriste : accueillir des clients tout en gérant une affaire médiatique lourde de conséquences. Quinze jours après l’ouverture, le contexte reste complexe : d’un côté, l’affluence semble réelle ; de l’autre, de nombreuses marques partenaires, des syndicats, et même des autorités publiques expriment des réserves voire une forte opposition. Ce dossier invite à poser un état des lieux.
La tourmente autour de Shein
Shein fait face à une série de critiques et d’enquêtes en France. Parmi les plus marquantes : la vente sur sa plateforme de poupées sexuelles à l’apparence enfantine, signalée par les autorités. 4TIME Ces révélations interviennent alors que la marque est en projet d’ouverture d’un espace physique au BHV, ce qui donne à l’affaire une forte visibilité. France 24 Par ailleurs, le BHV lui-même se retrouve fragilisé : retards de paiement, départs de fournisseurs, et inquiétudes internes sont évoqués. France 24
Le BHV maintient la décision d’accueillir Shein
Malgré la controverse, le président du groupe propriétaire, Société des Grands Magasins (SGM) — et son dirigeant Frédéric Merlin — a confirmé que le partenariat avec Shein allait bien se poursuivre au BHV. France 24 La marque s’installe au sixième étage de l’établissement, au-dessus et à proximité d’espaces où d’autres marques étaient déjà présentes. France 24 Cette décision a été motivée par le discours selon lequel ce partenariat allait redynamiser le magasin et attirer une clientèle plus jeune ou plus nombreuse.
Les marques partenaires quittent le navire, le malaise s’installe
Plusieurs marques emblématiques ont annoncé leur départ du BHV Marais après l’arrivée de Shein, jugeant que cette implantation ne correspondait ni à leurs valeurs ni à l’image qu’elles souhaitent préserver. Parmi les retraits : le Le Slip Français, qui a cessé sa collaboration en évoquant des impayés prolongés et un manque de confiance. The Epoch Times D’autres enseignes comme Swarovski, American Vintage, et Maison Péchavy ont également annoncé leur retrait, dénonçant un « contrat moral » en contradiction avec l’arrivée de Shein. The Epoch Times
Rupture entre les Galeries Lafayette et le BHV. La séparation entre SGM, propriétaire du BHV Marais, et les Galeries Lafayette a créé une secousse importante dans le paysage commercial français. Les deux groupes ont annoncé la fin de leur collaboration, ce qui va entraîner le changement d’identité de plusieurs magasins régionaux — Angers, Dijon, Grenoble, Limoges, Orléans, Le Mans et Reims — qui seront prochainement rebaptisés « BHV ». Selon Le Figaro, cette rupture est motivée par « une divergence stratégique », et doit permettre à SGM d’exploiter ces magasins sous une nouvelle identité commerciale qui sera révélée prochainement.
Du côté de la fréquentation Le BHV mentionne une activité forte liée à l’espace Shein. Par exemple, le directeur évoque que le sixième étage réalise désormais une proportion significative du chiffre d’affaires « mode » du magasin. Cinco Días
– Mais en parallèle, l’image du magasin reste entachée par la controverse. Le fait que Shein soit déjà sous enquête et que plusieurs marques aient quitté ou menacé de quitter le BHV pèse.
– Le calendrier d’expansion est freiné. Alors que Shein prévoyait de s’ouvrir à d’autres villes françaises — Dijon, Reims, Grenoble, Limoges, Angers — ces ouvertures sont différées. Le Monde.fr

Les voix opposées à l’implantation de Shein au BHV Marais se sont multipliées et se sont fait entendre publiquement. Les syndicats ont appelé à la grève et organisé une manifestation devant le magasin, dénonçant un modèle jugé incompatible avec l’identité du BHV. Selon Le Monde, « quelque 150 grévistes se sont rassemblés devant le BHV » le 10 octobre pour protester contre l’arrivée de l’enseigne, un mouvement qui illustre l’ampleur du rejet.
Les opposants avancent avant tout un argument de cohérence éthique : pour eux, le modèle ultra-fast-fashion de Shein — production en masse, renouvellement express des collections, prix très bas — n’a rien à faire dans un grand magasin historique qui se revendiquait jusque-là comme un acteur du commerce parisien durable. Plusieurs collectifs rappellent également que Shein est régulièrement citée dans les débats concernant les soupçons de travail forcé de populations ouïghoures, ce qui renforce encore la méfiance autour de ce partenariat.
Au-delà de l’aspect commercial, l’affaire touche aussi un terrain moral plus sensible. Selon Forbes France, Shein a été « épinglée pour la présence sur sa plateforme de poupées sexuelles d’apparence enfantine », un contenu que les autorités françaises jugent « potentiellement pédopornographique ».
Ce scandale a profondément alimenté le sentiment de défiance : pour de nombreux salariés et partenaires du BHV, accueillir une marque sous le feu d’accusations aussi graves « revient à brouiller l’image du magasin » et expose l’enseigne à une polémique qui ne lui appartenait pas. Certains redoutent qu’une telle implantation accentue la fragilité des autres marques, qu’elle pèse sur les conditions de travail dans l’écosystème interne du magasin, et qu’elle renforce l’opacité des chaînes d’approvisionnement. L’idée qui revient le plus souvent chez les opposants est qu’avec Shein, le BHV « importe des problèmes qui n’ont jamais été les siens ».
À ces critiques s’ajoute un front judiciaire important. Une centantaine de marques françaises et douze fédérations professionnelles du commerce et de l’industrie ont déposé une action collective contre Shein pour concurrence déloyale. Elles affirment que la marque profite d’un modèle « bâti sur des pratiques illégales », citant la vente de produits non conformes, des promotions trompeuses, un manque de transparence sur l’origine des marchandises ou encore le non-respect des obligations environnementales imposées aux autres acteurs. — Le Dauphiné Libéré — Challenges Pour les opposants, ce n’est plus seulement l’image du BHV qui est en jeu, mais la santé de tout un écosystème commercial. L’arrivée de Shein devient alors le symbole d’un marché fragilisé, où des acteurs locaux peinent à concurrencer un modèle fondé sur le volume et le contournement des règles.

Pour ceux qui soutiennent l’arrivée de Shein au BHV Marais, cette implantation permet avant tout de rendre le grand magasin plus accessible à des publics qui n’ont pas les moyens de s’habiller dans des enseignes plus coûteuses. Ils mettent en avant que les prix du BHV restent hors de portée pour de nombreux jeunes, étudiants ou familles, et que l’arrivée de Shein représente une manière de « démocratiser la mode ». Selon Novethic, Shein défend l’idée que « la mode est un droit, pas un privilège » et se présente comme une solution pour les personnes au budget limité. Pour les soutiens de la marque, c’est une opportunité pour le BHV de renouer avec une clientèle plus large, plus jeune, et plus représentative du pouvoir d’achat actuel.
Concernant les accusations qui ont circulé à son sujet, les défenseurs de Shein rappellent que le scandale liées aux articles à caractère pédopornographique provient d’erreurs ponctuelles de mise en ligne parmi des millions de références, et non d’une intention volontaire. Ils soulignent surtout que l’entreprise a retiré rapidement les produits concernés, a renforcé ses systèmes de contrôle et a coopéré avec les autorités. Selon une dépêche AFP publiée par France24, Shein affirme disposer d’un « code de conduite conforme à la Convention internationale du travail » et dit travailler « de manière constructive avec les autorités européennes ». Pour ses partisans, cela montre que la marque a fait preuve de bonne foi, qu’elle n’a pas cherché à éviter la justice, et qu’elle ne devrait pas être définie uniquement par un incident isolé quand d’autres plateformes mondiales ont déjà connu des dérives similaires.
En prenant en compte les deux positions — celles qui soutiennent l’arrivée de Shein et celles qui y sont opposées — un compromis ressort assez naturellement. Beaucoup reconnaissent que permettre à Shein de s’installer en France, dans un cadre contrôlé et encadré, n’est pas en soi une mauvaise idée. Le pouvoir d’achat est une réalité, et l’enseigne attire un public jeune et moins aisé qui ne peut pas toujours se permettre les prix des grandes marques. Mais à l’inverse, d’autres soulignent que placer Shein au cœur même du BHV Marais, à quelques mètres des marques déjà fragilisées par les retards de paiement ou la concurrence, a bouleversé l’équilibre du magasin. Cela a créé un choc brutal dans un espace où cohabitaient jusque-là des enseignes historiques, souvent françaises, avec un positionnement très différent du modèle ultra-fast-fashion.
Une alternative aurait pu répondre aux préoccupations des deux camps : installer Shein non pas dans le bâtiment principal du BHV, mais dans le BHV Homme, situé juste en face au 36 rue de la Verrerie. Cet espace voisin, dédié à un autre public et moins sensible pour les marques d’intérieur et de décoration du BHV central, aurait pu devenir un lieu réservé à l’enseigne, limitant l’impact sur l’écosystème existant. Une implantation séparée, mieux circonscrite, aurait certainement réduit la pression ressentie par les fournisseurs et commerçants déjà présents dans le bâtiment principal, tout en permettant à Shein d’être réellement présente à Paris. Reste que cette solution n’aurait pu fonctionner que si la marque avait accepté d’occuper cet espace secondaire.